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Une grande partie de la recherche sur le génocide des communautés tutsies a négligé les témoignages des survivants.Crédit : Chip Somodevilla/Getty

Ce mois-ci marque les 30 ans du début du génocide de 1994 contre les communautés tutsis du Rwanda. Environ 800 000 Tutsis ont été tués par des milices et des citoyens hutus armés en l'espace de 100 jours. Des membres des communautés Hutu et Twa sont également décédés dans ce que certains spécialistes appellent l’atrocité la pire de la fin du vingtième siècle.

Ce trentième anniversaire est un rappel poignant de beaucoup de choses, mais peut-être, avant tout, de l'incapacité de la communauté internationale à intervenir et à mettre fin aux massacres. Des massacres de Tutsis ont eu lieu pendant des décennies avant 1994, mais les appels à l'aide provenant de l'intérieur du Rwanda ont été ignorés, ce qui a entraîné des conséquences horribles.

Cette semaine, dans le cadre d'un dossier d'actualité commémorant l'anniversaire de l'atrocité, Nature a demandé aux chercheurs ce qu’ils ont appris du génocide, les conséquences pour les survivants et les répercussions. Les leçons tirées de l'étude d'un génocide particulier peuvent s'appliquer à de nombreux événements au tour d’un conflit.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, adoptée après la Seconde Guerre mondiale, définit le génocide comme "un acte commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Il s'agit, selon la convention, d'un "fléau odieux" qui "à toutes les époques de l'histoire [...] a suscité de grandes pertes à l'humanité".

Les génocides sont incroyablement difficiles à étudier. La question la plus difficile concerne les origines d'un génocide : comment les guerres et la violence peuvent-elles dégénérer en actes génocidaires ? En même temps, l'étude des génocides travers les disciplines académiques. Elle englobe les sciences politiques et sociales, l'anthropologie, la biologie, l'économie, l'histoire, le droit, la médecine, la sociologie, etc. Les chercheurs apportent leur propre perspective disciplinaire, mais doivent également collaborer. Nature a entendu des chercheurs qui étudient la consolidation de la paix entre les communautés touchées par le génocide, et s'est renseigné sur les approches de santé mentale qui ont aidé les survivants. Nous nous sommes également entretenus avec des scientifiques qui ont étudié comment le traumatisme de l'événement a marqué l'ADN des survivants et de leurs enfants. Le traumatisme intergénérationnel, c'est-à-dire le traumatisme lié au génocide qui se transfert aux jeunes générations qui ne l'ont pas vécu directement, reste un défi pour les services de santé mentale au Rwanda. Mais cela est un héritage de toutes les atrocités, l'un dont les sociétés doivent se préparées.

Dans le cas du Rwanda, le génocide a presque anéanti la communauté universitaire du pays ; jusqu'à récemment, l'étude de l'atrocité avait été réalisée en grande partie par des chercheurs d'autres pays. Les universitaires rwandais se sont rétablis et doivent être soutenus afin qu'ils puissent mener l'étude du génocide, de la violence politique et au-delà. Le pays accueille déjà certaines des institutions de recherche les plus importantes d'Afrique, notamment une section de l'Institut africain des sciences mathématiques à Kigali et l'Agence africaine des médicaments, qui sera bientôt établie dans la capitale.

Les chercheurs des pays africains se heurtent à de nombreux obstacles. Ils signalent régulièrement que les revues internationales rejettent trop rapidement leurs propositions. Certains ont expliqué à Nature que cela pouvait être dû à l'idée que les recherches menées dans les pays à faible revenu ou dans les pays où l'autonomie académique est limitée sont de faible qualité. Le programme "Recherche, politique et enseignement supérieur", axé sur le Rwanda, est une initiative exceptionnelle qui contribue à surmonter ces obstacles. Lancé il y a dix ans par l'organisation caritative britannique Aegis Trust à Nottingham, ce programme invite les universitaires rwandais à soumettre des propositions de recherche ; des chercheurs externes les aident, par leurs conseils et leur expertise, à faire publier leurs travaux dans des publications internationales, telles que des revues à comité de lecture. Les travaux qui en résultent sont rassemblés dans une ressource appelée "Genocide Research Hub" (centre de recherche sur le génocide).

À ce jour, plus de 40 chercheurs sont auteurs de nombreuses publications : dans des revues académiques, sous forme de chapitres de livres et des rapports en progrès. Certaines études ont déjà influencé la politique rwandaise relative au génocide.

Par exemple, l'universitaire rwandais Munyurangabo Benda, philosophe de la religion à la Queen's Foundation, un collège œcuménique de Birmingham, au Royaume-Uni, a étudié les sentiments de culpabilité chez les enfants des perpétrateurs hutus nés après le génocide. Un projet de consolidation de la paix engageant cette génération d'enfants s'est transformé en un programme national de réconciliation. Les recherches universitaires de Benda ont contribué à élargir l'offre du programme.

Dans l’immédiat après-coup des atrocités, l'accent est souvent mis sur les perpétrateurs, les organisations juridiques cherchant à obtenir des condamnations et à garantir la justice. Mais dans l'étude du génocide, il est impératif d'écouter les survivants, de déterminer leurs besoins et la manière dont ils peuvent être soutenus, et de veiller à ce que leurs témoignages et leurs expériences ne soient pas perdus.

Selon Noam Schimmel, spécialiste des études internationales et des droits de l'homme à l'université de Californie à Berkeley, la plupart des recherches sur le génocide des Tutsis ont négligé les témoignages des survivants, en particulier ceux des femmes. Il faut que les survivants ont l’occasion de partager et de noter leurs propres perspectives et expériences - que ce soit dans la littérature, dans le cadre de la recherche ou dans le journalisme - ce qui peut les aider à surmonter l'isolement et la marginalisation, et à améliorer leur bien-être et leur qualité de vie.

Alors que les atrocités se poursuivent dans le monde entier, les chercheurs peuvent tirer des leçons du Rwanda. Les responsables doivent permettre aux chercheurs des pays touchés de prendre l'initiative lorsqu'ils le peuvent et de faire entendre la voix des survivants. Ce faisant, ils apporteront un niveau d'expérience plus approfondi qui pourrait nous permettre de mieux étudier et comprendre ces actes odieux. Bien que beaucoup de réponses aux questions nous évitons toujours, agrandissant la connaissance ne peut que contribuer à éclairer davantage ce sujet le plus sombre.