Kwame Nkrumah, photographié avec Jawaharlal Nehru, le premier premier ministre indien après l'indépendance de la Grande-Bretagne.Crédit : Everett Collection Historical/Alamy

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"La science et la technologie ont la possibilité de transformer le Sahara en un vaste champ de végétation verdoyante".

C'est ainsi que Kwame Nkrumah, éducateur, théoricien politique et premier Premier ministre du Ghana indépendant, s'est exprimé dans un discours à l’importance majeure lors du lancement de l'Organisation de l'Unité Africaine, aujourd'hui ‘Union Africaine’ (UA), en mai 1963.

Les dirigeants de l'UA se sont réunis le week-end dernier pour leur sommet annuel à Addis-Abeba, en Éthiopie, plus de 60 ans après le discours de Nkrumah, aujourd'hui souvent cité. Au cours de cette période, des succès notables ont été enregistrés dans le domaine de la coopération scientifique en Afrique. La création des Centres Africains de Contrôle et de Prévention des Maladies, basés à Addis-Abeba en 2016, en est une, et la fondation de l'Institut Africain des Sciences Mathématiques, qui a maintenant plus de vingt ans, en est une autre.

Les négociations sont en cours pour la création d'une agence africaine des médicaments afin d'harmoniser l’autorisation des nouveaux médicaments. Le projet de la Grande Muraille Verte, qui vise à lutter contre la dégradation des sols traversant les frontières, bien qu'il soit confronté à de nombreux problèmes, est un autre exemple de la volonté des gouvernements de mettre de côté leurs différences pour atteindre des objectifs communs.

Mais le financement, en particulier pour les collaborations à plus petite échelle, reste toujours un obstacle. Les pays africains ont de nombreux défis en commun que la science pourrait aider à résoudre, notamment l'insécurité alimentaire, l'adaptation au climat et la fin des conflits. La plupart d'entre eux figurent parmi les priorités des objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD). Mais bien que la recherche montrent que les chercheurs des pays à revenu faible et moyen se concentrent davantage sur les ODD que leurs compatriotes des pays à revenu élevé, l'UA ne dispose pas d’un fonds pour le continent entier qui permettrait à tous les chercheurs africains de travailler ensemble sur ces problèmes communs. Tel fonds ne doit pas nécessairement s'élever à des centaines de millions. Il peut commencer modestement, par exemple par des subventions pour des voyages à des réunions et à des conférences, pour l'élaboration de propositions de recherche plus importantes ou pour la formation. Mais il est nécessaire.

Dès 2014, l'UA et la ‘Banque Africaine du Développement’, basée à Abidjan, ont commencé à travailler sur la création d'un fonds pour les chercheurs. Il s'agit du ‘Fonds Africain pour l'Education, la Science, la Technologie et l'Innovation’, dont le champ d'application a été élargi aux projets éducatifs. Les pays sont invités à contribuer des fonds qui seront égalés par la Banque de ses propres ressources. Jusqu'à présent, le Botswana et le Ghana se sont engagés à verser 2 millions de dollars chacun. Mais à d'autres égards, il n'y a eu que peu ou pas de progrès, affirment les auteurs d'une étude sur les politiques scientifiques de l'UA, qui a été publiée à la fin de l'année dernière. Cette étude a été réalisée à la demande de l'UA et de l'UNESCO, l'agence des Nations Unies pour la science. Le fonds pour la science et l'éducation doit devenir une priorité, affirment les auteurs. En fin de compte, cela signifie qu'il faudra que les chefs de gouvernement autorisent les dépenses.

Les dirigeants du continent ont bien sûr des préoccupations immédiates à gérer. Leurs économies ont été gravement touchées par la pandémie de COVID-19. Ils doivent également s’occuper à la réduction des tensions entre certains pays membres les plus importants et les plus influents de l'Union. L'Éthiopie, qui tient le siège de l'UA, est en conflit avec l'Égypte, sa voisine, et la Somalie. Le conflit armé qui déroule au Soudan depuis avril dernier à laisser à peu près 10 000 morts et six millions de déplacés. Au Sénégal, les élections risquent d'être retardées en raison d'une dispute entre les partis au pouvoir et les partis d'opposition.

Il est nécessaire que les projets qui se tournent vers l’avenir se trouvent également leur place sur l‘agenda de ces pays.

D'une certaine manière, les temps sont durs pour les autres unions régionales, notamment pour l'Union Européenne, qui entretient les liens intensives - y inclus le soutien financier - avec l'UA. Elle a perdu l'un de ses plus grands membres, le Royaume-Uni, à la suite du Brexit, et envisage une action en justice contre la Hongrie pour contravention des principes démocratiques. Également, il y a une augmentation du soutien populaire aux partis qui ne sont pas d'accord avec de nombreuses lois de l'UE.

La coopération scientifique sera affectée par ces désaccords. Mais dans l'histoire de ces unions, y compris dans l'histoire de l'UA elle-même, les dirigeants ont reconnu qu'il y avait plus à gagner à permettre la collaboration entre les personnes et les institutions qu'à l'empêcher.

Lorsque Nkrumah a fait son discours en 1963, les pays africains ont choisi de créer l'ancêtre de l'UA, même s'il y avait des divisions entre eux. Comme l'a noté Nkrumah à l’époque : "Il n'y a guère de pays africain qui n'ait pas de problèmes de frontière avec ses voisins immédiats.

Pourtant, ils sont allés à l'avant. Les chercheurs du continent ont aujourd'hui besoin que leurs dirigeants fassent preuve du même esprit. La science n'apportera pas, à elle seule, la paix, ne résoudra pas la faim et n'inversera pas la dégradation de l'environnement. Mais un fonds, même modeste, qui peut encourager des collaborations pour résoudre des problèmes communs contribuera à créer ou à renforcer des liens d'unité. Et ce ne serait pas une victoire insignifiante.