L'image montre trois billets de banque dans des tubes à essai

Si le soutien extérieur a été crucial pour la recherche en Afrique, on ne saurait trop insister sur le besoin urgent de renforcer le financement local et gouvernemental pour assurer la durabilité.Crédit : Image Source/ Getty Images

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Pour un chercheur travaillant sur la sécurité alimentaire à l'université de Nairobi, la décision du Conseil suédois de la recherche de supprimer en 2023 16,4 millions de dollars de subventions pour la recherche sur le développement a été plus qu'un coup dur.

Ce n'était pas la première fois que l'universitaire, qui a requis l'anonymat, recevait de mauvaises nouvelles au cours de sa carrière. Mais le retrait total du financement au cours d'un cycle d'appel d'offres, alors que des propositions étaient déjà en cours d'examen, était une première, selon lui.

Peggy Oti-Boateng, biochimiste ghanéenne et directrice exécutive de l'Académie Africaine des Sciences, explique que les coupes budgétaires suédoises ont touché au moins 20 chercheurs de l'académie. Mais comme ils enseignent tous à des étudiants, l'effet est cinq fois plus important.

Sue Harrison, vice-chancelière adjointe de l'université du Cap chargée de la recherche et de l'internationalisation, a connu des coupes dans les financements étrangers lorsque l'UK Research and Innovation (UKRI) a annoncé des changements budgétaires en 2020 qui se sont traduits par un manque à gagner de 166 millions de dollars américains dans ses programmes financés par l'aide. "Un certain nombre de nos chercheurs ont été touchés, nos jeunes chercheurs étant les plus affectés, un certain nombre d'entre eux ayant tout simplement perdu leur financement", dit-elle.

Outre les réductions récurrentes, les chercheurs africains sont souvent exclus des programmes de subventions. En 2021, des scientifiques du Kenya, du Nigeria et de Tanzanie ont adressé une lettre ouverte aux principaux bailleurs de fonds internationaux pour souligner l'exclusion totale des institutions africaines d'une subvention de 30 millions de dollars américains accordée par l'Initiative Présidentielle contre la Malaria (PMI) du gouvernement américain à l'organisation de santé à but non lucratif PATH. Cette subvention a permis de financer un consortium de sept institutions aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie afin d'aider les pays africains à améliorer l'utilisation des données pour la prise de décision en matière de contrôle et d'élimination du paludisme.

Ces chercheurs réclamaient un challenge plus large, impliquant des ressources ininterrompues, afin de créer et générer des connaissances et des innovations pour relever les défis spécifiques à l'Afrique figurant rarement sur les agendas internationaux, mais essentiels pour influencer la politique et la pratique.

"Notre consortium de chercheurs en Suède et en Afrique de l'Est avait deux propositions en cours d'examen. Nous avions de grands projets de recherche sur les arbres multifonctionnels et les jardins potagers régénératifs pour améliorer les systèmes alimentaires indigènes dans les zones arides d'Afrique de l'Est, mais ce travail pour aider à atteindre la résilience alimentaire et nutritionnelle a été ralenti", explique le chercheur de l'Université de Nairobi.

Mettre les chercheurs africains aux commandes

Les programmes et le financement de la recherche en Afrique continuent d'être soumis aux fluctuations du financement et aux caprices des partenaires du Nord. Bien que l'Afrique représente 18 % de la population mondiale, elle ne produit que 1 à 2 % des résultats mondiaux en matière de recherche et d'innovation.

Selon le portail SCImago Journal & Country Rank, qui suit les revues et les indicateurs scientifiques des pays, l’Afrique du Sud, l'Égypte et le Nigeria sont les trois premiers pays africains à faire des progrès significatifs dans l'obtention de subventions qui permettent aux scientifiques de mener leurs propres programmes de recherche. Toutefois, même dans ces pays, les chercheurs continuent de se débattre avec des ressources financières limitées, finançant parfois eux-mêmes leurs travaux.

La nécessité pour l'Afrique de se concentrer sur les investissements à forte valeur ajoutée, tels que la recherche et le développement (R&D) et les infrastructures, est considérée comme une priorité dans le rapport 2023 Foresight Africa de l'Initiative pour la Croissance de l'Afrique. Pourtant, 17 ans après que les États membres de l'Union Africaine se sont engagés à consacrer 1 % de leur PIB à la recherche et au développement, le financement du continent ne s'élève qu'à 0,42 %, ce qui contraste fortement avec la moyenne mondiale de 1,7 %.

Aucun pays n'a atteint l'objectif de 1 %. Même l'Afrique du Sud, qui est le pays du continent qui consacre le plus d'argent à la recherche et à l'innovation en pourcentage du PIB, n'a atteint que 0,85 % , son niveau de dépenses le plus élevé.

Bien que l'Afrique représente 18 % de la population mondiale, elle ne produit que 1 à 2 % des résultats mondiaux en matière de recherche et d'innovation, les pays africains étant manifestement absents de la liste des 20 pays les plus innovants établie par l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). La liste des 20 premiers pays est établie en fonction des dépenses de recherche et de développement, du nombre de demandes de brevets nationaux et du nombre d'entreprises publiques de haute technologie.

Certains des plus grands scientifiques du continent avertissent que les chercheurs africains, en particulier ceux qui sont en début de carrière, sont désavantagés par le fait que leurs pays ne reconnaissent pas la véritable valeur de la recherche. "En Afrique, nous n'avons pas compris que la compétitivité scientifique de nos pays les rendra également compétitifs sur le plan économique. Nous continuons à considérer la recherche comme une dépense plutôt que comme un investissement économique", déclare le Sud-Africain Salim Abdool Karim, professeur en santé mondiale à l'université de Columbia et directeur du Centre pour le Programme de Recherche sur le Sida en Afrique du Sud (CAPRISA).

Christian Happi, directeur du Centre d'Excellence Africain pour la Génomique des Maladies Infectieuses à l'université Redeemer au Nigeria, déclare : "L'Afrique doit comprendre que l'avenir de la croissance économique et du développement du continent est inextricablement lié à la R&D."

Placer les chercheurs africains aux commandes

Les réductions de financement sont dévastatrices pour les chercheurs, mais cela va souvent au delà des seules réductions. Les subventions sont souvent assorties de priorités et d'agendas particuliers, ce qui laisse des domaines de recherche cruciaux sous-financés et dissuade les étudiants de poursuivre une carrière dans la recherche.

Selon M. Oti-Boateng, la dépendance excessive de l'Afrique à l'égard des financements étrangers, qui peuvent être suspendus à tout moment, souligne la nécessité de diversifier les sources de financement et d'inciter les gouvernements africains et le secteur privé à s'impliquer. "L'autre raison essentielle de l'autofinancement de la recherche est de s'assurer que ce ne sont pas les donateurs qui dictent l'orientation de nos recherches. Ils ont leurs propres priorités, qui sont le plus souvent différentes des nôtres, mais comme nous n'avons pas d'argent, ce n'est pas nous qui dictons l'ordre du jour", prévient-elle.

Si le soutien extérieur a été crucial pour la recherche en Afrique, on ne saurait trop insister sur le besoin urgent de renforcer le financement local et gouvernemental pour assurer la durabilité. Pour Harrison: "Nous ne devrions pas nous contenter de faire le travail que les autres veulent que nous fassions, simplement parce que nous avons besoin de leur argent. Il est important que nous soyons également financés par nos gouvernements et nos contribuables, et que nous fassions le travail qui correspond à notre contexte."

Joab Odhiambo, maître de conférences à l'université des sciences et technologies de Meru, au Kenya, affirme que le continent connaît déjà une diminution du nombre de jeunes qui poursuivent un doctorat. "La pénurie de jeunes titulaires de doctorats dans les régions en développement comme l'Afrique subsaharienne aura de profondes répercussions négatives sur le développement socio-économique", déclare-t-il. Selon la Coalition pour la Recherche et l'Innovation en Afrique (CARI), la proportion de chercheurs dans la population africaine est 25 et 28 fois plus faible qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis, respectivement. Le pourcentage d'Africains poursuivant des études supérieures est trois fois inférieur à la moyenne mondiale, avec des lacunes similaires en matière d'installations et d'équipements nécessaires pour mener des recherches de pointe.

Karim, dont le centre, créé il y a 20 ans, compte aujourd'hui 57 docteurs et 36 médecins, explique que "toute l'aventure de la science a besoin d'une infrastructure de recherche qui soit intégrée à la capacité institutionnelle. Elle repose sur de nombreuses générations de scientifiques et cela nécessite des ressources soutenues à long terme, et non des subventions à court terme".

Kelly Chibale, lui, a fondé le Centre Holistique de Découverte et de Développement du Médicament de l'Université du Cap (H3D), le premier centre intégré de découverte et de développement de médicaments en Afrique. Il est passé de cinq personnes en 2010 à 76 personnes, avec un groupe universitaire distinct pour former et superviser les étudiants en doctorat.

"Nous devons rechercher les poches d'excellence en Afrique et les soutenir pour qu'elles réussissent. Si nous parvenons à créer localement une capacité d'absorption pour attirer les talents, les nourrir et les développer, nous serons en mesure de les retenir", déclare-t-il.

Pour que le paysage de la recherche en Afrique soit dynamique et autosuffisant, il faut d'abord que les pays respectent les engagements pris dans le cadre de la déclaration d'Abuja. L'une des principales caractéristiques de la déclaration de 2001 est l'engagement contraignant de tous les pays africains signataires d'allouer au moins 15 % de leur budget annuel à l'amélioration du secteur de la santé. Cinq ans plus tard, la Huitième Session Ordinaire du Conseil exécutif de l'Union africaine (UA) a approuvé l'appel lancé aux États membres, lors de la Conférence Ministérielle Africaine sur la Science et la Technologie, pour qu'ils portent les budgets nationaux consacrés à la science et à la technologie à 1 % du PIB.

Cet appel a été réitéré lors de la réunion du Conseil Exécutif de l'UA en 2007, lorsque les États membres ont été vivement encouragés à promouvoir la recherche et le développement en Afrique et à élaborer des stratégies d'innovation pour la création de richesses et le développement économique, en allouant au moins 1 % du PIB à la R&D d'ici 2010.

"Nous devons commencer par là, sinon nous serons toujours là avec notre sébile à demander aux pays (de l'hémisphère nord) de financer nos scientifiques. Les programmes de recherche africains ne seront jamais prioritaires tant que les scientifiques africains ne seront pas financés par leurs propres pays", conclut M. Karim.