Les sacrifices personnels de la microbiologiste Amina Ahmed El-Imam soutiennent ses recherches sur les biocarburants.Crédit: Carnation Consults

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Ici, au Nigeria, cela fait presque un an que des files d'attente interminables se forment dans les stations-service du pays. J'ai l'impression d'être victime d'un vol chaque fois que j'achète de l'essence au marché noir au double du tarif officiel. En tant que professeur de microbiologie et mère de quatre enfants, qui travaille, je ne peux pas me frayer un chemin dans le chaos et les longues files d'attente dans les quelques stations qui vendent de l'essence au prix approuvé par le gouvernement. J’ai, gravée dans la mémoire, l'image d'un brillant ingénieur et professeur de médecine que je connais - dont le temps pourrait être mieux employé à faire des recherches pour améliorer la vie des gens - faisant la queue pendant des heures devant une station-service tôt un lundi matin.

Habituellement, dans les mois qui précèdent les élections générales au Nigeria, les dirigeants élus donnent un semblant de gouvernance pour gagner des voix. Mais aujourd'hui, même avec les élections présidentielles et législatives cette semaine, la vie dans le pays le plus peuplé d'Afrique est sans doute plus difficile qu'en toute autre période de paix. La science pourrait faire partie de la solution, mais elle ne semble pas avoir de défenseur dans ces élections.

La pénurie actuelle d'argent liquide, qui fait suite à une inflation record de plus de 20 % en août et septembre de l'année dernière, est le principal problème auquel nous sommes confrontés. La Banque centrale du Nigeria a ordonné l'échange précipité de billets de banque en naira de grande valeur contre un nombre insuffisant de nouveaux billets, soi-disant pour lutter contre les activités illégales. Cela a provoqué le chaos dans les banques et des bagarres dans les files d'attente des distributeurs automatiques - un homme est même mort de causes inconnues alors qu'il faisait la queue pour obtenir sa carte bancaire. De nombreux Nigérians, dont 40 % n'ont pas de compte bancaire, n'ont d'autre choix que de continuer à se battre pour obtenir les rares billets de remplacement.

À cela s'ajoutent des pénuries de carburant et des coupures d'électricité permanentes, ainsi qu'une infrastructure technologique déficiente. En raison des dysfonctionnements et de l'absence de sécurité des applications bancaires, de nombreuses personnes ont dû revenir au processus archaïque consistant à faire la queue dans les banques pour les transactions financières les plus banales.

La science ne peut pas résoudre immédiatement tous nos problèmes. Mais les politiciens nigérians devraient prendre en considération l'impact profond qu’ont eu les investissements dans la science et la technologie dans des pays comme la Corée du Sud et la Malaisie. Nos dirigeants doivent se libérer du piège de la dépendance économique à l'égard de l'exportation de matières premières comme le pétrole, minimiser les activités des bureaucrates kleptomanes et attirer davantage d'investissements dans le secteur des sciences et des technologies. L'un des principaux problèmes du Nigeria est ce que les spécialistes des sciences sociales appellent la "malédiction des ressources", une observation confirmée par de nombreuses études au fil des ans (X. Sala-i-Martin and A. Subramanian J. Afr. Econ. 22, 570–615; 2013). En bref, la découverte du pétrole a alimenté la corruption interne et le gaspillage tout en étouffant l'innovation.

Mais nous avons des avancées scientifiques et technologiques locales qui peuvent améliorer certains de ces défis. Par exemple, des Nigérians innovants ont inventé des voitures électriques alimentées par l'énergie solaire et des cuisinières qui brûlent directement du gaz naturel liquéfié, ce qui permettrait de remédier à la pénurie actuelle de pétrole et de réduire le coût élevé du combustible de cuisson.

Mais le Ministère Fédéral des Sciences, de la Technologie et de l'Innovation n'a pas été en mesure de soutenir la commercialisation de la plupart de ces inventions. Ce n'est pas une surprise : l'allocation du ministère est d'environ 0,85 % du budget fédéral de 2023, proche de ce qu'elle a été pendant une grande partie de la dernière décennie.

L'une des conséquences de cette stagnation est que nous perdons nos meilleurs jeunes scientifiques. J'en ai eu assez de voir certains de mes meilleurs étudiants émigrer vers d'autres pays pour y suivre un programme de doctorat ou y trouver un emploi, frustrés par l'absence d'installations de recherche et la stagnation des revenus en période d'hyperinflation. En 2009, le gouvernement a accepté d'améliorer les salaires des chercheurs, mais plus de dix ans plus tard, il n'a toujours pas donné suite.

Et on constate une absence inquiétante d’évocation de la science dans les campagnes électorales actuelles. Deux des trois principaux candidats à la présidence mentionnent la science et la technologie dans leur programme, mais n'ont aucun plan spécifique pour stimuler la recherche scientifique et l'innovation, que ce soit dans leur programme ou sur le terrain. C’est juste pour cocher une case. Les hommes politiques n'ont pas peur de faire de grandes promesses car l'électorat demande rarement des comptes. Le silence quasi total sur la science, la technologie et l'innovation est donc un signe inquiétant de négligence future.

Nous devons collaborer pour sortir la science de son état d’hibernation au Nigeria. L'Académie des sciences du Nigeria, en raison de son influence sur le gouvernement fédéral, est la mieux placée pour attirer l'attention des candidats sur la relation frigide entre le gouvernement et la science. D'autres organisations non gouvernementales et organismes professionnels à vocation scientifique devraient prendre le relais et plaider pour des installations scientifiques de base, des fonds pour les salaires, la fabrication locale d'équipements et le soutien à l'esprit d'entreprise. Les mesures d'action positive, les services de garde d'enfants et d'autres formes de soutien aux femmes scientifiques sont également essentiels.

Les scientifiques doivent sortir plus fréquemment de leurs campus et laboratoires pour interagir avec la communauté au sens large. La semaine dernière, j'ai rejoint quelques collègues universitaires pour un entretien avec des politiciens locaux et fédéraux. Je demande à mes collègues scientifiques d'intégrer des interactions de ce type dans leur travail afin que les questions scientifiques soient prises en compte, non seulement pendant les années électorales, mais en permanence.

Nous devons mobiliser nos meilleurs esprits pour résoudre les problèmes banals qui ont mis le Nigeria au pied du mur. La science doit être au service de tous les habitants du pays, afin que nous arrêtions de perdre des millions d'heures à faire la queue pour des besoins fondamentaux, comme l'essence.